Le réveil sonne - Page 3
Le constat fut terrible. Mon image était inexistante. Je m'assis pour me calmer, ce ne devait pas être bien dramatique, une réponse évidente éluciderait ce mystère facilement. J'hésitais entre poursuivre ma journée normalement ou consulter un médecin. Tout compte fait, j'optai pour un coup de téléphone à mon travail de manière à les prévenir de mon indisposition, sans préciser les circonstances, ils m'auraient pris pour un affabulateur. Et si je perdais la raison ? Le mieux était encore de ne plus ruminer et de me préparer à partir, les urgences s'imposaient.
Je pris une longue douche bien chaude, comme par besoin de ressentir une chaleur réconfortante. La pression de l'eau sur les épaules me rassurait, elle me confirmait que j'existais. A plusieurs reprises, je me savonnai pour être sûr d'éprouver mon corps, de peur qu'il disparaisse. J'observai continuellement mes mains parcourir leur danse sur ma peau.
Finalement, je fermai le robinet et m'enroulai dans une serviette. Une dernière fois, je tentai d'apercevoir mon reflet en passant devant la glace, sans aucun succès, même dans les carreaux de la fenêtre ou le dos d'une cuillère. Je me fis la réflexion que seuls les vampires étaient dans cette situation, et l'idée d'en être un m'amusa. Cette drôlerie me détendit un peu. J'examinai toutefois mes canines. Après une histoire invraisemblable comme la mienne, tout pouvait être possible ! Je laissai de côté le test de l'ail, je n'avais jamais cru qu'il puisse avoir un quelconque pouvoir de répulsion, excepté celui de l'haleine fétide. Quant au crucifix, c'était le genre de chose introuvable chez moi.
Je songeai alors à me prendre en photo. Un clic plus tard, apparut une lueur blanche sur l'écran de capture, à l'endroit où j'aurais dû être. Intrigué par ce phénomène, j'allumai hâtivement l'ordinateur pour observer la prise de vue agrandie. Effectivement, je découvris une émanation lumineuse et translucide en plein milieu de la photo, évoquant l'aspect d'un homme, la tête était plus brillante avec un halo fluorescent, les traits du visage étaient trop indécis pour que je puisse me reconnaître avec certitude, mais les bras étaient très denses, presque matériels, et mes mains se dessinaient sans nul doute. J'avais sous les yeux une représentation de spectre évidente. Etais-je mort ? Cette pensée me glaça le sang. Pourtant Marjory me voyait ! Peut-être ensuite, lorsque j'avais eu ce moment d'inattention avec la cafetière ?
Je courus à la cuisine, pour me chercher gisant en cadavre par terre. Néanmoins, pas une trace de moi-même. J'inspectai la chambre, le lit, le balcon, tout l'appartement dans les moindres recoins, sans résultat. La panique me gagnait totalement, je hurlai de terreur.
— Un fantôme ne pourrait pas toucher les choses, percevoir le chaud ou le froid, je ne peux pas être un revenant !
J'essayai de me rassurer mais après tout, qu'est-ce que j'en savais ? Il était temps de se calmer, quoi qu'il se passait, je ne pouvais plus rien y changer. Je m'assis un moment sur le bord du lit pour réfléchir, le visage réfugié dans les bras.
— Bon d'accord, je suis un esprit !
Je décidai de prendre le point de vue inverse, cela me donnerait peut-être des indices de voir les faits sous cet angle, et puis, plus vite j'accepterai, mieux cela se déroulerait. Je me concentrai pour m'imaginer en fantôme, mais l'effet escompté s'évanouit en fumée devant la prise de conscience que mon existence était finie, je me sentis soudain trahi par la vie, cet arrêt brutal ne me semblait pas juste. Le cœur lourd, je me ressaisis, on ne meurt pas subitement à 33 ans sans antécédents, d'autant plus que ma dépouille était introuvable. Je m'habillai rapidement et sortis.