Episode 1 : le grand jour
22 juin 2097… Le temps est si magnifique aujourd'hui, pourtant cette date sonne comme l'heure fatidique de ma mort, je viens d'avoir 21 ans et probablement que je n'atteindrai jamais le prochain siècle. Cette destinée inévitable m'attriste, j'ai le cœur lourd.
Pourquoi s'en affliger ? J'ai toujours su que ma convocation se présenterait à cette échéance, sûrement ai-je refusé de m'en soucier jusqu'ici pour vivre pleinement. J'ai bien fait. Le cortège de terreur que traîne cette angoissante journée est déjà largement suffisant pour ne pas en avoir rajouté quotidiennement de longues années auparavant.
Je m'avance dans les rues, malgré mes jambes flageolantes et les boum-boum dans ma poitrine qui rythment ma progression, semblables aux battements déterminés des tambours accompagnant un peloton d'exécution.
Les gens me croisent complètement indifférents, vaquant à leur existence. Le regard suppliant que je leur lance ne les accroche même pas, la colère et le dégoût m'envahissent, j'aurais voulu briser ce silence qui les entoure. Pourquoi ne rien dévoiler ? Puisqu'ils savent, ils l'ont déjà traversée l'épreuve de la maturation et en sont revenus eux ! Ce qui n'est pas le cas de tout le monde parait-il… Ah l'effroi me saisit ! Le centre de contrôle se dresse tout près de moi, je me dissimule par réflexe derrière des arbres, trop fluets pour masquer quoi que ce soit, ce qui rend mon attitude encore plus stupide, en plus du fait que cette grosse boule métallique n'est pas un oeil de surveillance, c'est une construction inerte !
Pourtant sa surface réfléchissante est tellement troublante, le monde se voit en la regardant. Serait-elle révélatrice de ce qui s'y projette ? Y affronterait-on son âme en s'approchant trop près ?
En tout cas, ce face à face me renvoie à la conscience pénible de ma situation : j'ai reçu en ce matin de mes 21 ans la sommation de me présenter. Je ne suis pas une exception, chaque citoyen, homme ou femme, ayant atteint cet âge, doit s'y conformer, néanmoins cela ne me console même pas. Les raisons de cet examen obligatoire sont bien obscures, et tous ceux qui l'ont subi ont pour consigne de se taire sur leurs expériences, elles sont personnelles qu'ils disent et seraient insignifiantes et inutiles pour les autres, que l'on doit se faire les siennes.
Ce n'est jamais très rassurant de naviguer en pleine ignorance, et les imaginations les plus fertiles font circuler des rumeurs effrayantes… Je ne dois pas y penser ! La tête me tourne prête à flancher et le souffle me manque. Je m'assois rapidement sur le muret, dos à l'édifice pour l'oublier quelques instants, au-dessus de moi, le ciel bleu intense s'étend à l'infini, cette vision me fait du bien, je revis un peu.
Mais je dois y aller maintenant… je ne suis plus un enfant, je dois y aller et faire le grand saut.
Photo : Géode au parc de la Villette - Paris 19è - Photo de Rémi Jouan - Mars 2007